À 51 ans, Ronan Pallier alias « Papy Jumper » a connu une année faste en 2021 avec une médaille de bronze aux Jeux paralympiques de Tokyo et un titre de champion d’Europe. Avant de raccrocher définitivement les pointes, le sauteur en longueur du Nantes Métropole Athlétisme a un dernier chapitre à écrire à Paris en 2024. Entretien avec un athlète hors normes. Détonant.
— Ronan, comment as-tu découvert l’athlétisme ?
Je suis arrivé dans l’athlé quand j’étais à l’école. L’athlétisme c’était surtout mon choix parce que j’aimais bien la longueur. J’ai commencé à faire la longueur moi-même. J’ai appris tout seul. Après j’ai arrêté car j’étais dans le football. À 14 ans, j’étais déjà en centre de formation. Je suis allé au stade Brest Armorique (Stade Brestois) puis après j’ai fait Auxerre. Je n’ai pas réussi à avoir de carrière professionnelle alors j’ai décidé de faire autre chose. Je suis donc parti faire mon service militaire dans le sud de la France, à Toulon. J’ai rencontré un gars qui pratiquait l’athlétisme là-bas, en 1992. Il m’a dit « tiens tu pourrais faire avec moi les Championnats de France militaire ». J’ai accroché rapidement au projet, ça me permettait de faire des choses à l’armée. Je suis parti à l’athlé, direct, avec lui, pendant 2 ans. J’ai signé au club de la Valette-du-Var, à Toulon. Je faisais le 100 m et la longueur. Je suis arrivé en Élite quasiment la même année. Je tournais déjà en 10″40 sur le 100 m et je sautais déjà à 7,80 m, 7,90 m en longueur. C’étaient des résultats favorables pour faire les Championnats de France Elite cette même année.
— Qu’est-ce qui te plaît dans le saut en longueur ?
Moi ce qui me plaît ce sont les sensations. La course reste très naturelle. Tout le monde sait courir. Mais est-ce que tout le monde sait sauter ? Tout le monde sait sauter plus ou moins mais pas avec une technique qui permet d’avancer dans l’espace. La sensation de s’élever du sol te permet d’être dans un autre monde.
— Comment s’est manifesté ton handicap ? Est-ce que tu en parles librement ?
C’est arrivé dans la continuité. J’ai arrêté en 1995. En 1995, je sors de l’armée. Je pars 5 ans en Australie comme agent touristique. Arrivé au bout des 5 ans, je décide de revenir en Métropole, pour revoir la famille et pour me reconstruire. En 1999-2000, je suis arrivé à Nantes en tant que conducteur de tram et de bus. 1 an plus tard, ma maladie s’est manifestée. La « continuité » c’était de toujours faire du sport malgré le handicap. J’ai arrêté ma carrière en Élite à 30 ans et j’ai repris logiquement une carrière handisport. L’athlétisme, ça ne s’est jamais arrêté pour moi, j’ai toujours mis en place des protocoles et de la rigueur. J’ai eu des blessures comme tous les sportifs mais je suis plutôt solide physiquement. J’endure beaucoup, même sur des grosses intensités. À l’époque, Grégory Charbonneau était mon entraîneur. Grégory a arrêté en 2015. J’ai fait une demande pour avoir un nouvel entraîneur. Fabrice Ploquin venait d’arriver et il s’occupait principalement des étudiants. Par la suite, il est rentré dans la ligue et la relation entre nous s’est faite naturellement.
— Chez les valides, penses-tu être aller au bout de ce que tu pouvais faire ?
Chez les valides, j’ai d’abord fait les Jeux Méditerranéens, en 1992-1993. J’aurai pu aller plus loin mais j’avais d’autres objectifs à ce moment. Quand tu as la tête ailleurs, ce n’est pas la peine de te focaliser sur ça. J’avais tout coupé avec le sport, avec le football déjà. À cette époque, je n’étais pas fixé athlétisme malgré tout le respect que j’ai pour cette discipline. C’était bien, je suis resté sur l’athlétisme après et surtout sur cette discipline qu’est la longueur. La carrière, chez les valides, s’arrête en général vers 35 ans. Moi j’ai fait une deuxième licence handisport et ça m’a propulsé sur une nouvelle carrière.
— Tu as participé à tes premiers Jeux Paralympiques en 2004 à Athènes…
Je sortais des élites, c’était facile de me recruter. Les recruteurs regardaient les nouveaux visages de l’athlétisme et les performances. Ils ont remarqué que j’avais déjà des performances nationales et élites en valide. Ils ont trouvé mon profil prometteur. Ils m’ont donc emmené en stage. Je suis parti en 2003-2004 sur un stage du côté de Lyon. J’ai enchainé rapidement et c’était l’année des Jeux. Finalement j’ai été sélectionné pour les Jeux en 2004 sur le 100 m et la longueur. Je fais 5ème à la longueur et demi-finaliste sur le sprint. J’ai enchaîné les compétitions : Championnats d’Europe, Championnats du Monde, les Jeux Paralympiques.
— Comment va s’articuler ta saison estivale cette année ?
Cette année, nous avons des échéances importantes avec les Championnats de France et les meetings internationaux. Ma saison devrait s’arrêter en juillet. C’est une saison quasiment normale. Normalement, je suis le dernier du Nantes Métropole Athlétisme à finir la saison. Habituellement, les premiers reprennent en septembre, tandis que moi, je n’ai pas encore fini ma saison.
— As-tu réalisé une saison hivernale cette année ?
Je ne fais jamais la saison hivernale. Ça m’arrive de faire une apparition pour sauter un peu. Mais je n’aime pas trop ça. Pour moi, l’athlétisme c’est dehors. C’est bien d’avoir des salles pour pouvoir s’entraîner mais cela augmente le risque de blessure. Surtout pour des athlètes qui n’ont pas le suivi nécessaire. J’ai la chance d’avoir un contrat professionnel au Nantes Métropole Athlétisme donc j’ai un salaire. Puis je suis listé au ministère en élite et ça me permet d’être libre dans la journée pour penser qu’à la performance et au bien-être de mon corps. J’ai également la chance d’être détaché avec le ministère et la fédération par mon travail à la Semitan. Je suis responsable de l’accessibilité. Je suis détaché plus d’une centaine de jours dans l’année. J’ai l’esprit libre pour m’entraîner. Je profite de ces avantages le plus possible. Je vais de l’avant et le jour où le corps ralenti, j’arrêterai. Je pratiquerai toujours du sport. Je n’arrêterai pas l’athlétisme mais plutôt le haut-niveau.
— Comment s’est déroulé ton stage à la Réunion (1er au 15 avril 2022) ?
Les conditions sont optimales à la Réunion, il n’y a que deux heures de décalage. Il y a de la chaleur là-bas. Je suis Réunionnais et j’adore la chaleur. Je suis fait pour ça. Les conditions sont vraiment réunies pour bien s’entraîner. Il y a des stades qui sont référencés par la Fédération maintenant. J’ai fait Dubaï en février dans des conditions similaires. Je suis fait pour l’extérieur, ça me convient bien. J’ai encore quelques stages jusqu’au mois de juillet, notamment à Saint-Raphaël.
— Quel est ton programme de compétitions ?
Je vais sortir 5-6 fois. Je ne vais pas sortir énormément car les Championnats du Monde ont été annulés. On réduit par conséquent les compétitions et les entraînements. On repartira mieux au mois de septembre. Je repartirai en stage à la Réunion puis en décembre je réaliserai le Meeting de l’Océan Indien, à Saint-Paul. Du mois de décembre à avril prochain, je vais beaucoup me déplacer. Je n’ai aucune échéance internationale cet été. On vise les Championnats du Monde à Paris l’année prochaine. Ce qui est bien, c’est que cette compétition va commencer la préparation pour 2024. On va connaître les athlètes sélectionnés la même année. C’est à Paris, c’est chez nous, ce sont les prémices d’une grosse organisation comme les JOP 2024 à Paris. Dans le même temps, j’aurai des Meetings avec la Diamond League.
— Quel est ton avis sur le développement du handisport dans l’athlétisme ?
Le développement a été mis en place. Mais il est ralenti par les différents changements au sein de la fédération. Ça ne bouge pas énormément même s’il y a les Jeux de 2024. La médiatisation a augmenté depuis 2012 tout de même. On a eu les Jeux de Pékin en 2008 où ça commençait à être bien médiatisé par les chaînes de télévision. Également en 2012 à Londres. Et les autres éditions ont vraiment bien suivi. Près de 300 heures de direct à Tokyo et 420 heures de direct prévu sur les Jeux en 2024. Nous sommes plutôt satisfaits.
— Des Jeux Paralympiques réussis en 2024 à Paris, qu’est-ce que ça serait quoi pour toi ?
Arriver encore une fois sur le podium et faire une médaille d’or. Je suis motivé pour atteindre cet objectif. Je ne vais pas aux Jeux pour faire une représentation. Ça fait des années que je suis à haut niveau. Ça serait bien de ressortir avec une médaille d’or. J’ai déjà eu des médailles d’or sur d’autres championnats. Je veux finir ma carrière avec une médaille d’or paralympique.
— Après les Jeux Paralympiques de 2024, envisages-tu la fin de ta carrière ?
Oui, je pense qu’il sera temps. J’aurai 54 ans. Je ne pense pas qu’il n’y est beaucoup de personne de mon âge avec une densité égale à faire du haut-niveau même dans le handisport. Peu de monde saute aussi loin, à 6,20 m ou à 6,30 m à 54 ans.
— As-tu un message pour les athlètes qui s’arrêtent, notamment pour des questions de motivation, alors qu’ils pourraient continuer ?
Pour ceux qui veulent continuer, il faut toujours se fixer un objectif. Cela étant, ça dépend de chaque individu. Toute personne a le droit de choisir. Il faut bien choisir. Il faut surtout être bien entouré pour avoir le respect de continuer. Toujours avoir les bonnes personnes autour de vous.
— Comment fonctionne ta relation avec ton entraîneur, Fabrice Ploquin ?
Ma relation est très amicale. On se connaît depuis 2001. Je l’ai connu lorsqu’il était athlète notamment sur le triple saut. Il est parti et moi j’ai continué. Fabrice, c’est un ami. Il fait partie de ma famille de l’athlétisme. C’est mon petit-frère pour moi. Je suis plus âgé de 4 mois. Nous sommes amis depuis des années. On se comprend très bien. On ne se prend pas la tête. Il peut y avoir des petites tensions mais c’est très éphémère. On se respecte tellement entre nous. Fabrice est un très bon entraîneur. C’est un expert. Tout le monde n’a pas l’œil d’expert que Fabrice possède.
— Penses-tu que toutes les conditions sont réunies à Nantes pour faire de la performance ?
On a des bonnes conditions parce qu’il y a le Stadium grâce à la ligue et à la Métropole nantaise. Néanmoins, je pense que les stades et les pistes en extérieur ne sont pas suffisamment optimisés. Il faudrait privilégier davantage les sports individuels en extérieur par rapport aux sports collectifs. Le stadium est un très beau support contrairement aux stades.
— Que penses-tu de l’Action Horizon Paris 2024 ?
J’ai récemment fait une action à Basse-Goulaine avec Harmonie. L’objectif, c’est aussi d’inciter tout le monde à pratiquer du sport. Les Jeux vont être une belle fête sportive mais c’est également un événement culturel. Il faut pousser les jeunes à pratiquer du sport en s’appuyant sur les Jeux.
— Quelles sont tes ambitions professionnelles après 2024 ?
J’ai plusieurs projets en tête. Je vais continuer de travailler à la Semitan pour l’instant. Mais j’ai des propositions pour travailler au comité olympique ou paralympique. Je serai affecté à Monaco pour m’occuper de la logistique des différents élus du comité. J’ai déjà effectué ce travail et ça s’était très bien passé. Je ne sais pas trop pour le moment. Ce sont seulement des propositions.
— Quel est le plus beau souvenir de ta carrière ?
Des beaux souvenirs, j’en ai énormément. La médaille individuelle à Tokyo est très belle. La médaille collective également. Le plus beau souvenir, c’est d’être allé aux Jeux pour la première fois à Athènes en 2004. D’être sélectionné pour la première fois en Équipe de France pour les Jeux. Dans le pays où on a créé les Jeux, en Grèce. Je me dis que je vais finir mes Jeux à Paris, dans mon pays. La boucle serait totalement bouclée. Ça sera la plus belle page à écrire.
« Papy Jumper » n’a pas fini de s’envoler…
Propos recueillis par Félix Desile
Crédit photo : @nmathle