Aujourd’hui, c’est au tour de Martin Gaudré de répondre aux questions de www.nmathle.fr. Du haut de ses 17 ans, le jeune marcheur autiste est entré dans la cour des grands en atteignant la plus haute marche du podium aux Championnats du Monde et aux Championnats d’Europe en salle. Son père Laurent nous a accompagnés afin de formuler les pensées de son fils, qui peut parfois avoir du mal à dire ce qu’il pense, mais qui est resté très souriant durant notre entrevue.

— Martin, ton année 2021 fût riche en victoires. En effet, tu as réussi à monter sur la plus haute marche du podium pour le 3000m marche aux Championnats d’Europe en salle à Nantes, mais aussi pour le 5000 m marche aux Championnats du Monde de sport adapté en Pologne. Penses-tu que tes objectifs ont été atteints ?

Oui les objectifs ont été atteints. Compte tenu du fait que c’était une Fédération (sport adapté) que l’on ne connaissait pas, on partait un peu dans l’inconnu. La seule chose que l’on peut regretter c’est qu’à cause du Covid, tous les pays n’ont pas pu se présenter. Il y avait donc très peu de participants aux deux championnats. Aussi, il y a très peu de participants en marche athlétique au niveau international car c’est une discipline très technique et difficile à assimiler pour les personnes en situation de handicap. Ces sportifs préfèrent se diriger vers le sprint ou le demi-fond, où l’aspect technique est moins élevé. C’est pour cela qu’il y a très peu d’adversaires pour Martin.

— Tu as donc beaucoup de mérite quant à la pratique de cette discipline…

Je ne sais pas s’il mérite encore plus, mais il faut se dire que ça n’a pas été facile tous les jours. Nous avons pris la décision qu’il pratique cette discipline-là car le club organise tous les ans le championnat départemental, mais aussi parce que nous avons un entraîneur sur place. Et, personnellement nous nous sommes dit que la marche pourrait l’aider dans son handicap. Les autistes ont malgré tout de fortes lacunes qu’ils compensent par des capacités inouïes (selon chaque autiste) : Martin a dans sa rigidité mentale autistique, une capacité d’adaptation motrice (coordination, mémorisation -il connaît plusieurs centaines de chansons par cœur, titres et auteurs en Français et en Anglais sans en connaître globalement le sens.., une capacité relationnelle car il apprécie beaucoup le contact des autres même s’il n’arrive pas forcément à décoder le langage d’autrui. De plus, il apprécie la nouveauté. Ses capacités ultra sensorielles lui permettent également d’apprécier son environnement pour son bien être et sa concentration sur des points qui nous échappent (vibrations, rythme, température etc). Globalement, c’est un jeune courageux, partant dans tout ce qu’on lui propose et enthousiaste.

— Les Championnats de France estivaux approchent à grands pas, quelles sont les courses que tu attends avec impatience ? Et quels chronos aimerais-tu réaliser ?

Les prochaines échéances sont les interclubs du dimanche 22 Mai à Tours, où Martin va représenter le NMA en équipe 1. Et ensuite il partira le lendemain en stage à Reims pendant une semaine. Pendant cette semaine, il y aura une compétition où il y aura un minima à effectuer pour participer au championnat d’Europe en Pologne au mois de juillet. Le chrono minimum est de 29 minutes, sachant que Martin fait 23’45, donc ça ne devrait pas poser trop de problèmes, mais il faut rester vigilant et faire attention. Techniquement il va falloir être présent. Également, il participera peut-être à un meeting de marche à Chantenay. Et bien sûr il ne faut pas oublier les Championnats de France FFSA qui auront lieu à Marmande (47) début juillet.

— De la même manière que tes précédentes échéances, j’imagine que tu te prépares pour être au meilleur de ta forme pour les compétitions qui arrivent, comment se déroulent les entrainements aux côtés de ton coach et de ton père ? Est-ce que ça se passe bien ?

Oui effectivement, il s’entraîne cinq fois par semaine tout en essayant de varier les plaisirs étant donné qu’il va participer aux championnats de France. Il faut éviter que ce soit redondant et essayer de s’entrainer en groupe. Par exemple, l’hiver dernier Martin s’est entraîné avec le groupe demi-fond, où là pour lui le côté social est très important, parce que s’entraîner tous les jours et tout seul, ça ne doit pas toujours être facile. Les relations avec ses partenaires d’entraînement lui font du bien. Pendant les entraînements il fait du fractionné, de la technique, un petit peu de hauteur et du disque. Donc au championnat de France il effectuera ces trois disciplines.

— Dans quel état d’esprit es-tu en ce moment ? Comment te sens-tu aux entrainements ?

« Je suis content, un peu fatigué au dernier tour », à la fin des compétitions ou des entraînements. Mais sinon là ça va il n’est pas fatigué, tout va bien.

— Si on revient quelques années en arrière lorsque tu as débuté l’athlétisme, pensais-tu un jour vivre toutes ces émotions et belles victoires ? Chanter la Marseillaise, avoir une médaille d’or, marcher avec le maillot de l’équipe de France, …

Non il ne pensait pas à toutes ces choses-là. Déjà quand il a été détecté pour faire un stage à Reims pour faire partie de l’équipe de France de sport adapté, tout a été très vite. Il a fait partie de l’équipe de France, puis il a fait les minimas pour participer aux compétitions internationales (championnat d’Europe et du Monde). Il a tout validé rapidement, ça été très très vite. Jamais à aucun moment nous pensions qu’il aurait pu atteindre un tel niveau, parce que le sport adapté est une chose, mais même avec les valides il arrive à être parmi les meilleurs français.

— Est-ce en quelque sorte une revanche sur le trouble de l’autisme ?

Oui oui on peut dire que c’est une revanche parce que tout est possible ! Il faut être patient, entouré, que les parents soient aussi dans le projet. Car ce n’est pas le travail que d’une personne mais de toute une équipe pour en arriver là.

— Le Nantes Métropole Athlétisme est agrégé FFSA (Fédération Française des Sports Adaptés) depuis janvier 2021, que penses-tu de cette nouvelle mise en place pour les personnes en situation de handicap mental et/ou psychique ?

C’est une très bonne chose. Nous ce qu’on demande c’est que justement ça se développe. On en parle aussi au sein de l’IME où il est actuellement à Saint-Hilaire-de-Chaléons, pour qu’il y ait de plus en plus de personnes qui viennent faire de l’athlétisme dans la section pour vivre tous ces moments-là. Ça permet d’ouvrir des portes pour que les enfants pratiquent une discipline, l’athlétisme ou autre chose. Mais je pense qu’il y a encore un frein, que les parents ont peur qu’on se moque de leur enfant. Il faut encore que ça se démocratise, mais c’est un bon début

— Comment tes parents t’accompagnent-ils dans ta vie d’athlète de haut niveau ?

Ça nous prend beaucoup de temps et d’énergie, mais c’est que du bonheur car c’est pour son bien-être, pour améliorer son autonomie. C’est vrai que nous ne l’accompagnons pas au stage à Reims, donc ça veut dire que sur place il faut qu’il se débrouille ; même s’il y a une personne qui vérifie que tout se passe bien, qu’il se réveille à la bonne heure, qu’il mette les vêtements adéquates. Mais il gagne beaucoup en autonomie grâce à cela.

— Cette année, tu en es où dans ton parcours scolaire, ça se passe comment ?

Il a intégré depuis la rentrée dernière un IME (Institut Médico Educatif) réservé aux personnes en situation de handicap. La liste d’attente est très longue, ce qui fait que les places sont chères. Il se rend à Saint-Hilaire-de-Chaléons à temps partiel mais nous sommes déjà très satisfaits qu’il ait pu intégrer cet IME. Parce que l’année dernière, il était dans un lycée professionnel à Machecoul mais ça ne s’est pas bien passé parce que c’était complètement en décalage par rapport à son niveau scolaire. Cette année c’est beaucoup plus cohérent. Son niveau reste pour le moment très faible, par exemple il est en apprentissage de la soustraction en ce moment. D’où la difficulté pour lui de gérer son effort sur une distance, car il faut sans cesse lui redire que, par exemple, une course de 800 m c’est deux tours de piste.

— Est-ce que tu te plais bien cette année à l’IME ?

« Oui ça se passe bien, oui j’ai des copains ».

— Les Jeux Paralympiques de Paris 2024, est-ce un rêve pour toi ?

La marche n’est pas au programme. Pour le sport adapté, il y a juste le 400 m, le 1500 m, la longueur et le poids. Je pense qu’une des raisons est qu’il n’y a pas assez de participants.

— Si tu devais nous parler de ton moment préféré à l’athlétisme, quel serait-il ?

La séance de VMA, là où il y a de la vitesse, où tu marches très très vite ? « Oui ! »

— Aimerais-tu faire passer un petit mot à ton coach Loïc Le Magueresse ou à ton papa ?

Oui un grand merci ! On s’occupe bien de moi. »

  • Mieux comprendre Martin

Je suis autiste, différent des autres : imaginez que vous prenez le départ d’une course sans chrono (aucune notion du temps), sans pouvoir gérer votre effort : ne pas pouvoir ajuster mon rythme du début à la fin, en fonction de la distance ni sur mon ressenti, que c’est difficile pour moi ! Et ce, sans connaître la stratégie de mes concurrents : je vis à 100% dans le concret. Pour un autiste, toute cause a un effet que je dois comprendre sur des informations simples et planifiées.  Je m’appuie sur des informations précieuses de Loïc le Magueresse, mon entraîneur de marche depuis mes débuts, mon père qui m’accompagne à chaque entrainement, mon entourage familial pour me guider notamment, lors de courses dans le bon tempo, les encouragements de mon club ainsi que les juges : ils peuvent me sanctionner mais ils me sont d’une grande aide pour ajuster ma technique. L’exigence technique de cette discipline me pousse à m’adapter et à faire plus d’effort pour performer et surmonter mon handicap – en parallèle, je pratique également avec rigueur et enthousiasme le violon. De plus, j’ai des difficultés à interagir avec les autres mais je suis sensible à votre bienveillance et j’adore l’effet de groupe ! « les Interclubs » du 1er tour avec le NMA est un très bon souvenir, j’ai encouragé mes coéquipiers et pu exprimer ma joie avec eux lors de la danse avec notre mascotte !

  • Son évolution

J’ai démarré en catégorie Éveil à l’Herbauges Athlé 44, notre section a bien voulu de moi. Compte-tenu de mes difficultés, j’avais tout un ensemble de prises en charge thérapeutiques, éducatives. Mes débuts ont été très compliqués : j’étais davantage dans ma bulle, je comprenais très peu de consignes, le coup de pétard m’effrayait. Les encadrants ont dû s’adapter, ils se sont mis à « pied d’œuvre » pour m’aider et me faire évoluer positivement. J’ai pratiqué toutes les disciplines. Je suis reconnaissant à toutes les personnes qui m’ont aidé et qui me soutiennent aujourd’hui. Cet état d’esprit est bien présent dans notre section, une motivation liée au plaisir, à la performance mais aussi à des valeurs : le Vivre ensemble par nos différences, une cohésion de groupe où l’on peut construire de belles choses. Herbauges a d’ailleurs adhéré récemment à la Fédération Française des Sports Adaptés. Aussi, le NMA permet de m’accompagner favorablement parmi les athlètes « Paris 2024 », je remercie toutes les personnes, à tout niveau qui me soutiennent dans ce projet. Je suis très heureux de mettre le maillot du NMA car en toute circonstance, que ce soient des championnats départementaux ou des championnats du monde, j’y mets la même intensité (je n’ai aucune notion de l’enjeu). Malgré tout, je reste égal à moi-même et « je mouille le maillot » pour avoir qu’une envie : monter sur le podium, la médaille au cou … et pouvoir chanter la Marseillaise !

Propos recueillis par Pauline Salmon
Crédits photos : @nmathle